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Œuvre des experts des Nations-Unies: l’explosif rapport qui éclabousse Kigali, prudence à Kinshasa

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Œuvre des experts des Nations-Unies: l’explosif rapport qui éclabousse Kigali, prudence à Kinshasa

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Un long rapport qui prouve une fois de plus les accusations de Kinshasa sur l’implication de Kigali à côté du M23 dans le regain de la violence à l’Est de la RDC. Tout est dit sans ambages sur l’appui apporté par le régime de Paul Kagame à ce mouvement dit terroriste.
La participation du pouvoir ougandais n’est plus un secret, grâce à ce document de plusieurs pages.

Les révélations faites par ces experts ne doivent pas éclipser l’option prise par rapport au départ négocié de la Monusco. Kinshasa doit être prudent en évitant de servir le lit à la volonté de Kigali, réfractaire à la présence onusienne en RDC. Il est utile de dissocier ces deux situations.
Pour l’heure, obtenir les sanctions de ce régime rwandais pour tous les dégâts causés dans la partie orientale du Congo -Kinshasa. Lui intimer l’ordre de ramener des hommes armés redevables à son endroit.

Une automatique purification de l’armée nationale d’une extrême nécessité pour ce corps devant avoir un même souci de la défense de l’intégrité territoriale.

Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo

Malgré l’état de siège en vigueur depuis 11 mois dans les provinces du NordKivu et de l’Ituri, en République démocratique du Congo, et malgré les opérations militaires des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), des Forces de défense populaires de l’Ouganda (Uganda People’s Defence Forces – UPDF) et de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), les conditions de sécurité et la situation humanitaire se sont dégradées dans les deux provinces.

Au Nord-Kivu, le groupe armé Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces – ADF) a étendu sa zone d’opérations au sud de l’Ituri. Les ADF ont renforcé leur réseau et leur influence aux niveaux régional et international, notamment en ayant recours à la propagande, ce qui leur a permis d’assurer leur financement et de poursuivre les recrutements.

Les liens de communication entre les ADF et Daech – également connu sous le nom d’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) – se sont renforcés, bien que le Groupe d’experts n’ait pas pu établir si Daech fournissait un appui direct aux ADF ou exerçait un commandement et un contrôle sur elles. Les techniques des ADF dans le domaine des engins explosifs improvisés ont évolué.

Les ADF ont commencé à les utiliser en milieu urbain, tant en République démocratique du Congo que dans des pays voisins. Le Mouvement du 23 mars (M23) a refait surface et, à partir de novembre 2021, des combattants bien équipés, dirigés par le « général » Sultani Makenga, ont lancé une série d’attaques meurtrières contre des positions des FARDC et de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), ont volé des armes et ont occupé des points stratégiques où se rejoignent les frontières de la République démocratique du Congo, de l’Ouganda et du Rwanda.

Les opérations du M23 ont aggravé les tensions dans la région. Les Forces démocratiques de libération du Rwanda-Forces combattantes abacunguzi (FDLR-FOCA) ont poursuivi leurs activités dans le parc national des Virunga, lancé une nouvelle campagne de recrutement et renforcé leur coopération avec des groupes armés locaux.

Des réseaux criminels et certains membres des FARDC ont continué de se livrer au trafic de coltan non étiqueté provenant de mines du territoire de Masisi et au trafic de tourmaline provenant de la mine de Rukaza, également située dans le territoire de Masisi, et d’en tirer profit. Certaines de ces mines ont été visées par des attaques armées et certains minerais ont été introduits en contrebande au Rwanda pour y être commercialisés.

En Ituri, dans les territoires de Djugu et de Mahagi, des factions de la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO) ont multiplié les attaques contre les FARDC, le groupe armé Zaïre et les civils. L’Union des révolutionnaires pour la défense du peuple congolais/Coopérative pour le développement du Congo (URDPC/CODECO) a attaqué des camps de personnes déplacées, tuant des femmes et des enfants. Des combattants de la CODECO ont violé, parfois en réunion, des femmes et des filles. Des factions de la CODECO ont continué d’utiliser des enfants, notamment comme combattants.

Zaïre est devenu plus visible, ayant notamment mené des opérations contre des factions de la CODECO, commis des crimes contre des civils et pris le contrôle de plusieurs zones, dont des mines, notamment dans le territoire de Djugu. Certains membres des FARDC déployés pendant l’état de siège ont déplacé de force, violé et tué plusieurs civils, et ont détruit et pillé des maisons et des centres de santé.

Certains ont également procédé à des bombardements aériens indiscriminés, qui ont endommagé des maisons et des écoles, et blessé voire possiblement tué des civils. Des mines d’or, en particulier à Mongbwalu, ont été contrôlées par des factions de la CODECO et par Zaïre. Certains membres des FARDC y ont également taxé de l’or. Dans le territoire de Mambasa, les Maï-Maï Simba, dirigés par Mangaribi, ont extrait de l’or et en ont fait le commerce, et certains membres des FARDC ont taxé des mines, notamment à Muchacha, dans les limites contestées de la réserve de faune à okapis.

La quasi-totalité de l’or extrait en Ituri a été sortie en contrebande du pays. Au Sud-Kivu, la situation est restée très préoccupante dans les Hauts-Plateaux des territoires de Mwenga, d’Uvira et de Fizi, où les cycles de représailles entre groupes armés et les attaques contre les civils se sont poursuivis. Des attaques ciblées, en particulier contre la communauté banyamulenge, ont entraîné des déplacements de civils. La crise s’est étendue à d’autres zones, notamment les Moyens-Plateaux, le territoire de Fizi et la Plaine de la Ruzizi.

La plupart des groupes armés ont bénéficié d’un important soutien local et de la diaspora pour leurs opérations. Des membres des Forces de défense nationale du Burundi (FDN) et des Imbonerakure ont fait des incursions dans les territoires de Fizi et d’Uvira, lesquelles se sont multipliées depuis décembre 2021. Ils ont reçu l’appui de groupes armés congolais qui ont agi comme éclaireurs ou qui se sont joints à eux lors d’opérations contre le groupe armé burundais Résistance pour un État de droit au Burundi (RED Tabara).

Maï-Maï Yakutumba et ses alliés contrôlaient une partie de la production et du commerce de l’or provenant de certaines mines situées autour de la ville de Misisi. De même, dans la province du Tanganyika, les Maï-Maï Apa Na Pale ont extrait de l’or autour de Bendera et taxé les creuseurs artisanaux. Une partie de cet or a été introduite frauduleusement dans la chaîne d’approvisionnement légale et exportée légalement, tandis qu’une autre partie a été introduite en contrebande dans les pays voisins.

En Ituri, au Nord et au Sud-Kivu, des attaques contre du personnel humanitaire ont entraîné la suspension et parfois la fermeture de projets, empêchant ainsi l’accès à l’assistance humanitaire ou sa distribution. Des accords bilatéraux de coopération militaire ont été conclus entre l e Gouvernement de la République démocratique du Congo et les Gouvernements du Burundi et de l’Ouganda. L’Ouganda n’a notifié au Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du Congo des opérations de l’UPDF dans le Nord-Kivu et en Ituri qu’après le lancement de celles-ci.

Le Burundi n’a pas notifié le Comité des incursions des FDN et des Imbonerakure dans le Sud-Kivu. Certains matériels militaires ont été transférés aux forces de défense et de sécurité congolaises sans que le Comité en ait été préalablement notifié. Des documents bancaires comportant la mention « acquisition de produits agricoles », au lieu de matériel ou de formations militaires, ont révélé plusieurs transferts non notifiés au Comité et l’existence d’un système visant à dissimuler ces transferts en raison d’une mauvaise interprétation déclarée du régime de sanctions concernant la République démocratique du Congo.

I. Introduction

  1. Le mandat du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo a été reconduit par le Conseil de Sécurité dans sa résolution 2582 (2021) du 29 juin 2021. Après la suspension de toutes les candidatures proposées pour le Groupe d’experts à partir du 12 juillet, le Secrétaire général a nommé les membres du Groupe le 2 décembre (voir S/2021/1006). Le Groupe d’experts a donc commencé ses investigations plus de quatre mois après la prorogation de son mandat.
  2. Le rapport final du Groupe d’experts est présenté en application du paragraphe 6 de la résolution 2582 (2021). Comme demandé par le Conseil de sécurité au paragraphe 8 de sa résolution 2360 (2017), et à nouveau dans sa résolution 2582 (2021), le Groupe d’experts a échangé des informations avec le Groupe d’experts sur la Libye, le Groupe d’experts sur le Mali, le Groupe d’experts sur la Somalie et le Groupe d’experts sur le Soudan du Sud. Coopération avec la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo
  3. Le Groupe d’experts remercie la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) de son précieux soutien et de la collaboration dont elle a fait montre pendant la période
    Malgré l’état de siège en vigueur depuis 11 mois dans les provinces du NordKivu et de l’Ituri, en République démocratique du Congo, et malgré les opérations militaires des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), des Forces de défense populaires de l’Ouganda (Uganda People’s Defence Forces – UPDF) et de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), les conditions de sécurité et la situation humanitaire se sont dégradées dans les deux provinces. Au Nord-Kivu, le groupe armé Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces – ADF) a étendu sa zone d’opérations au sud de l’Ituri. Les ADF ont renforcé leur réseau et leur influence aux niveaux régional et international, notamment en ayant recours à la propagande, ce qui leur a permis d’assurer leur financement et de poursuivre les recrutements. Les liens de communication entre les ADF et Daech – également connu sous le nom d’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) – se sont renforcés, bien que le Groupe d’experts n’ait pas pu établir si Daech fournissait un appui direct aux ADF ou exerçait un commandement et un contrôle sur elles. Les techniques des ADF dans le domaine des engins explosifs improvisés ont évolué. Les ADF ont commencé à les utiliser en milieu urbain, tant en République démocratique du Congo que dans des pays voisins. Le Mouvement du 23 mars (M23) a refait surface et, à partir de novembre 2021, des combattants bien équipés, dirigés par le « général » Sultani Makenga, ont lancé une série d’attaques meurtrières contre des positions des FARDC et de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), ont volé des armes et ont occupé des points stratégiques où se rejoignent les frontières de la République démocratique du Congo, de l’Ouganda et du Rwanda. Les opérations du M23 ont aggravé les tensions dans la région. Les Forces démocratiques de libération du Rwanda-Forces combattantes abacunguzi (FDLR-FOCA) ont poursuivi leurs activités dans le parc national des Virunga, lancé une nouvelle campagne de recrutement et renforcé leur coopération avec des groupes armés locaux. Des réseaux criminels et certains membres des FARDC ont continué de se livrer au trafic de coltan non étiqueté provenant de mines du territoire de Masisi et au trafic de tourmaline provenant de la mine de Rukaza, également située dans le territoire de Masisi, et d’en tirer profit. Certaines de ces mines ont été visées par des attaques armées et certains minerais ont été introduits en contrebande au Rwanda pour y être commercialisés. En Ituri, dans les territoires de Djugu et de Mahagi, des factions de la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO) ont multiplié les attaques contre les FARDC, le groupe armé Zaïre et les civils. L’Union des révolutionnaires pour la défense du peuple congolais/Coopérative pour le développement du Congo (URDPC/CODECO) a attaqué des camps de personnes déplacées, tuant des femmes et des enfants. Des combattants de la CODECO ont violé, parfois en réunion, des femmes et des filles. Des factions de la CODECO ont continué d’utiliser des enfants, notamment comme combattants.

  4. Zaïre est devenu plus visible, ayant notamment mené des opérations contre des factions de la CODECO, commis des crimes contre des civils et pris le contrôle de plusieurs zones, dont des mines, notamment dans le territoire de Djugu. Certains membres des FARDC déployés pendant l’état de siège ont déplacé de force, violé et tué plusieurs civils, et ont détruit et pillé des maisons et des centres de santé. Certains ont également procédé à des bombardements aériens indiscriminés, qui ont endommagé des maisons et des écoles, et blessé voire possiblement tué des civils. Des mines d’or, en particulier à Mongbwalu, ont été contrôlées par des factions de la CODECO et par Zaïre. Certains membres des FARDC y ont également taxé de l’or. Dans le territoire de Mambasa, les Maï-Maï Simba, dirigés par Mangaribi, ont extrait de l’or et en ont fait le commerce, et certains membres des FARDC ont taxé des mines, notamment à Muchacha, dans les limites contestées de la réserve de faune à okapis. La quasi-totalité de l’or extrait en Ituri a été sortie en contrebande du pays. Au Sud-Kivu, la situation est restée très préoccupante dans les Hauts-Plateaux des territoires de Mwenga, d’Uvira et de Fizi, où les cycles de représailles entre groupes armés et les attaques contre les civils se sont poursuivis. Des attaques ciblées, en particulier contre la communauté banyamulenge, ont entraîné des déplacements de civils. La crise s’est étendue à d’autres zones, notamment les Moyens-Plateaux, le territoire de Fizi et la Plaine de la Ruzizi. La plupart des groupes armés ont bénéficié d’un important soutien local et de la diaspora pour leurs opérations. Des membres des Forces de défense nationale du Burundi (FDN) et des Imbonerakure ont fait des incursions dans les territoires de Fizi et d’Uvira, lesquelles se sont multipliées depuis décembre 2021. Ils ont reçu l’appui de groupes armés congolais qui ont agi comme éclaireurs ou qui se sont joints à eux lors d’opérations contre le groupe armé burundais Résistance pour un État de droit au Burundi (RED Tabara). Maï-Maï Yakutumba et ses alliés contrôlaient une partie de la production et du commerce de l’or provenant de certaines mines situées autour de la ville de Misisi. De même, dans la province du Tanganyika, les Maï-Maï Apa Na Pale ont extrait de l’or autour de Bendera et taxé les creuseurs artisanaux. Une partie de cet or a été introduite frauduleusement dans la chaîne d’approvisionnement légale et exportée légalement, tandis qu’une autre partie a été introduite en contrebande dans les pays voisins. En Ituri, au Nord et au Sud-Kivu, des attaques contre du personnel humanitaire ont entraîné la suspension et parfois la fermeture de projets, empêchant ainsi l’accès à l’assistance humanitaire ou sa distribution. Des accords bilatéraux de coopération militaire ont été conclus entre l e Gouvernement de la République démocratique du Congo et les Gouvernements du Burundi et de l’Ouganda. L’Ouganda n’a notifié au Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du Congo des opérations de l’UPDF dans le Nord-Kivu et en Ituri qu’après le lancement de celles-ci. Le Burundi n’a pas notifié le Comité des incursions des FDN et des Imbonerakure dans le Sud-Kivu. Certains matériels militaires ont été transférés aux forces de défense et de sécurité congolaises sans que le Comité en ait été préalablement notifié. Des documents bancaires comportant la mention « acquisition de produits agricoles », au lieu de matériel ou de formations militaires, ont révélé plusieurs transferts non notifiés au Comité et l’existence d’un système visant à dissimuler ces transferts en raison d’une mauvaise interprétation déclarée du régime de sanctions concernant la République démocratique du Congo.

I. Introduction

  1. Le mandat du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo a été reconduit par le Conseil de Sécurité dans sa résolution 2582 (2021) du 29 juin 2021. Après la suspension de toutes les candidatures proposées pour le Groupe d’experts à partir du 12 juillet, le Secrétaire général a nommé les membres du Groupe le 2 décembre (voir S/2021/1006). Le Groupe d’experts a donc commencé ses investigations plus de quatre mois après la prorogation de son mandat.
  2. Le rapport final du Groupe d’experts est présenté en application du paragraphe 6 de la résolution 2582 (2021). Comme demandé par le Conseil de sécurité au paragraphe 8 de sa résolution 2360 (2017), et à nouveau dans sa résolution 2582 (2021), le Groupe d’experts a échangé des informations avec le Groupe d’experts sur la Libye, le Groupe d’experts sur le Mali, le Groupe d’experts sur la Somalie et le Groupe d’experts sur le Soudan du Sud. Coopération avec la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo
  3. Le Groupe d’experts remercie la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) de son précieux soutien et de la collaboration dont elle a fait montre pendant la période considérée. Suite donnée aux demandes d’information du Groupe d’experts
  4. À la suite de la nomination de ses membres, le Groupe d’experts s’est entretenu avec des représentants de gouvernements, des acteurs du secteur privé et des représentants d’organisations de plusieurs pays. Il a adressé 74 courriers officiels à 54 États Membres, organisations internationales et entités privées. Au moment de l’établissement du présent rapport, il avait seulement reçu 33 réponses.
  5. Le Groupe d’experts regrette que les États Membres, y compris certains États membres du Comité et des États de la région, n’aient pas répondu en temps voulu et en nombre suffisant à ses demandes officielles d’information, et note que ces réponses sont essentielles à ses enquêtes.
  6. Le Groupe d’experts a conduit une visite officielle de trois jours au Rwanda et remercie le Gouvernement rwandais de la coopération dont il a fait montre.
  7. Le Groupe d’experts s’est également rendu en Ouganda pour une visite officielle de trois jours et remercie le Gouvernement ougandais de sa coopération. Il regrette toutefois que les autorités ougandaises ne lui aient pas permis de rencontrer des témoins clés ou d’accéder à des informations pertinentes pour ses enquêtes sur les réseaux régionaux de soutien aux Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces – ADF) et sur les attentats de 2021 à Kampala. 8. Le Groupe d’experts a envoyé des demandes de visite officielle aux gouvernements burundais et kenyan et regrette de ne pas avoir reçu de réponses sur le fond, bien que le Kenya ait accordé des visas aux membres du Groupe. Méthode de travail
  8. Le Groupe d’experts a appliqué les règles de preuve recommandées par le Groupe de travail informel du Conseil de sécurité sur les questions générales relatives aux sanctions (voir S/2006/997). Il a fondé ses conclusions sur des documents et, dans la mesure du possible, sur des observations de première main faites directement sur les lieux par les experts eux-mêmes.
  9. Compte tenu de la nature du conflit en République démocratique du Congo, rares sont les documents qui apportent la preuve irréfutable de transferts d’armes, de recrutement, de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans les cas de violations graves des droits de l’homme ou de l’exploitation illégale des ressources naturelles. Le Groupe d’experts a donc dû s’en remettre aux déclarations de témoins oculaires de membres des populations locales, d’ex-combattants et de combattants actuels de groupes armés. Il a également pris en compte le témoignage averti d’agents de l’État et d’officiers militaires de pays de la région des Grands Lacs et d’autres pays, ainsi que des sources des Nations Unies. Il a corroboré les informations en se servant d ’au moins trois sources indépendantes et fiables.
  10. Le présent rapport couvre les enquêtes menées jusqu’au 15 avril 2022. Compte tenu de la limitation du nombre de mots qui s’applique au présent rapport, certains détails concernant les preuves recueillies figurent à l’annexe 1. Verdict dans l’affaire des meurtres de membres du Groupe d’experts en mars 2017
  11. Le 29 janvier 2022, la cour militaire de l’ex-Kasaï-Occidental a rendu son verdict dans l’affaire des meurtres de Zaida Catalán et Michael J. Sharp, environ quatre ans et demi après le début du procès (voir annexe 2).
  12. Le Groupe d’experts prend note du verdict et des appels des parties. Il est toutefois préoccupé par le fait que sur les 50 accusés qui ont été condamnés, dont le colonel Jean de Dieu Mambweni des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), sont toujours en fuite. Il est également préoccupé par le fait que toutes les personnes impliquées dans ces meurtres n’ont pas été jugées, notamment leurs commanditaires et les personnes responsables de la disparition des quatre Congolais qui accompagnaient les deux membres du Groupe d’experts. Il regrette également que 49 des accusés aient été condamnés à la peine de mort et espère que la République démocratique du Congo maintiendra son moratoire de fait sur la peine de mort et que celle-ci sera prochainement abolie. II. Manquements à l’obligation de notification et accords de coopération militaire A. Acquisition de matériel militaire sous l’appellation de « produits agricoles »
  13. Le Groupe d’experts a examiné des informations montrant que, jusqu’au début de 2022, du matériel militaire a été transféré et des formations ont été dispensées aux forces de défense et de sécurité congolaises, soit directement par des sociétés et des instructeurs étrangers, soit par l’intermédiaire de sociétés enregistrées en République démocratique du Congo et agréées par le Ministère de la défense en tant que fournisseurs réglementés de biens importés, sans que le Comité en ait été préalablement notifié (voir annexe 3).
  14. Entre 2012 et 2018, la Banque centrale du Congo a exécuté des paiements vers plusieurs entreprises étrangères, en coordination avec des correspondants bancair es. Ces versements ont été effectués sur instruction du Ministère des finances, qui a agi selon des directives du Ministère de la défense. C’est ce dernier qui a décidé de l’appellation des paiements demandés .
  15. Alors que les paiements étaient destinés à l’acquisition de matériel militaire ou à la fourniture de formations organisées par des sociétés étrangères, plusieurs documents bancaires comportaient la mention « acquisition de produits agricoles », plutôt que de faire référence à du matériel ou à des formations militaires. En outre, parmi ces livraisons de matériel et ces formations dispensées aux forces de défense et de sécurité congolaises, certaines n’ont pas été préalablement notifiées au Comité, comme exigé par le Conseil de sécurité au paragraphe 5 de sa résolution 1807 (2008), puis à nouveau au paragraphe 1 de sa résolution 2293 (2016) et au paragraphe 1 de sa résolution 2582 (2021) (voir annexe 4). 17. Quatre officiers supérieurs des FARDC et trois institutions financières ont déclaré que la pratique de fausse appellation avait été initiée par le général François Olenga 2 , ancien Inspecteur-général des FARDC (2006-2012), ancien chef d’étatmajor par interim des forces armées (2012-2014) et ancien chef de la Maison Militaire (2014-2018). Cette pratique s’est poursuivie jusqu’en 2019 au moins. Selon la Banque centrale du Congo et plusieurs généraux des FARDC, en raison du régime d’embargo sur les armes, le pays ne pouvait pas officiellement acheter de matériel militaire. Afin de contourner cette interdiction perçue, les paiements pour les armes étaient présentés comme des paiements pour des produits agricoles, ce qui a conduit à des achats d’armes cachés et à la fraude documentaire.
  16. Le Groupe d’experts note que les institutions financières de la République démocratique du Congo, dans un souci de diminution des risques 3 , ont parfois refusé leurs services à des clients en lien avec l’achat de matériel militaire 4 . Cette interprétation du régime de sanctions est toutefois incorrecte, puisqu’en vertu des résolutions du Conseil de sécurité, la République démocratique du Congo est autorisée à acheter ou à recevoir officiellement du matériel et des formations militaires, à condition que l’État fournisseur en notifie le Comité. Ces notifications doivent garantir que les équipements militaires envoyés à la République démocratique du Congo sont livrés au seul destinataire autorisé, à savoir le Gouvernement, et non à un groupe armé ou à toute autre force déstabilisatrice. Elles renforcent également l’importance d’une surveillance attentive des équipements entrant dans le pays, cette surveillance restant un outil essentiel pour prévenir le détournement des stocks nationaux à destination de groupes armés . B. Coopération militaire et accords d’opérations militaires conjointes
  17. Au début de 2021, le Gouvernement de la République démocratique du Congo a conclu des accords bilatéraux de coopération militaire avec les gouvernements burundais et ougandais6 . Au moment de la rédaction du présent rapport, le Groupe d’experts n’avait pas obtenu d’informations précises concernant l’accord conclu avec le Burundi (voir également par. 162 à 168).
  18. À la mi-avril 2021, un accord de coopération militaire a été signé entre la République démocratique du Congo et l’Ouganda en vue de vaincre les ADF et de sécuriser les travaux de rénovation 7 des axes routiers Kasindi-Beni-Butembo et Bunangana-Rutshuru-Goma 8 . Il prévoyait une coopération accrue en matière de renseignement, un appui aérien et des tirs d’artillerie depuis le territoire ougandais, la création d’un centre de coordination des opérations conjointes, la construction d’une station de pilotage pour les drones de surveillance à la frontière entre les deux pays et un renforcement des contrôles aux frontières 9 . Il ne prévoyait pas, initialement, la présence de troupes ougandaises sur le territoire de la République démocratique du Congo10 . 21. Le 30 novembre 2021, des frappes aériennes et d’artillerie ont été lancées contre les ADF en prévision de l’entrée en République démocratique du Congo de troupes des Forces de défense populaires de l’Ouganda (Uganda People’s Defence Forces – UPDF) dans le cadre de l’opération Shuja, le jour même, par les postes-frontière de Busunga, en Ouganda, et de Nobili, en territoire de Beni 11. Le 23 décembre 2021, le Gouvernement ougandais a notifié au Comité le déploiement de personnel et de matériel de l’UPDF en République démocratique du Congo, leurs dates de départ et de rapatriement devant encore être convenues par les deux pays. Le 27 janvier 2022, les Ministres de la défense de la République démocratique du Congo et de l’Ouganda ont déclaré que la durée des opérations conjointes devait être prolongée, compte tenu de « la lenteur des opérations, due au terrain difficile, aux mauvaises conditions et aux contraintes logistiques ».
  19. Le Groupe rappelle qu’aux termes des dispositions du paragraphe 5 de la résolution 1807 (2008), reconduites au paragraphe 1 de la résolution 2293 (2016) et au paragraphe 1 de la résolution 2582 (2021), la fourniture d’une assistance impliquant la participation de troupes étrangères à des opérations militaires sur le territoire de la République démocratique du Congo doit être notifiée à l’avance au Comité. III. Nord-Kivu A. Forces démocratiques alliées Expansion territoriale dans le sud de l’Ituri Présence accrue et intensification des attaques dans le sud de l’Ituri
  20. Les ADF, groupe armé faisant l’objet de sanctions (CDe.001), ont commencé à étendre leur zone d’opérations dans le sud de l’Ituri de manière plus organisée et plus constante dès le début de 202013, après que le camp de Madina a été déplacé à la frontière entre le territoire de Beni et le sud du territoire d’Irumu. Auparavant, la présence temporaire des ADF et leurs incursions dans le sud de l’Ituri avaient principalement été motivées par des besoins de réapprovisionnement,
    Malgré l’état de siège en vigueur depuis 11 mois dans les provinces du NordKivu et de l’Ituri, en République démocratique du Congo, et malgré les opérations militaires des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), des Forces de défense populaires de l’Ouganda (Uganda People’s Defence Forces – UPDF) et de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), les conditions de sécurité et la situation humanitaire se sont dégradées dans les deux provinces. Au Nord-Kivu, le groupe armé Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces – ADF) a étendu sa zone d’opérations au sud de l’Ituri. Les ADF ont renforcé leur réseau et leur influence aux niveaux régional et international, notamment en ayant recours à la propagande, ce qui leur a permis d’assurer leur financement et de poursuivre les recrutements. Les liens de communication entre les ADF et Daech – également connu sous le nom d’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) – se sont renforcés, bien que le Groupe d’experts n’ait pas pu établir si Daech fournissait un appui direct aux ADF ou exerçait un commandement et un contrôle sur elles. Les techniques des ADF dans le domaine des engins explosifs improvisés ont évolué. Les ADF ont commencé à les utiliser en milieu urbain, tant en République démocratique du Congo que dans des pays voisins. Le Mouvement du 23 mars (M23) a refait surface et, à partir de novembre 2021, des combattants bien équipés, dirigés par le « général » Sultani Makenga, ont lancé une série d’attaques meurtrières contre des positions des FARDC et de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), ont volé des armes et ont occupé des points stratégiques où se rejoignent les frontières de la République démocratique du Congo, de l’Ouganda et du Rwanda. Les opérations du M23 ont aggravé les tensions dans la région. Les Forces démocratiques de libération du Rwanda-Forces combattantes abacunguzi (FDLR-FOCA) ont poursuivi leurs activités dans le parc national des Virunga, lancé une nouvelle campagne de recrutement et renforcé leur coopération avec des groupes armés locaux. Des réseaux criminels et certains membres des FARDC ont continué de se livrer au trafic de coltan non étiqueté provenant de mines du territoire de Masisi et au trafic de tourmaline provenant de la mine de Rukaza, également située dans le territoire de Masisi, et d’en tirer profit. Certaines de ces mines ont été visées par des attaques armées et certains minerais ont été introduits en contrebande au Rwanda pour y être commercialisés. En Ituri, dans les territoires de Djugu et de Mahagi, des factions de la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO) ont multiplié les attaques contre les FARDC, le groupe armé Zaïre et les civils. L’Union des révolutionnaires pour la défense du peuple congolais/Coopérative pour le développement du Congo (URDPC/CODECO) a attaqué des camps de personnes déplacées, tuant des femmes et des enfants. Des combattants de la CODECO ont violé, parfois en réunion, des femmes et des filles. Des factions de la CODECO ont continué d’utiliser des enfants, notamment comme combattants.
    Zaïre est devenu plus visible, ayant notamment mené des opérations contre des factions de la CODECO, commis des crimes contre des civils et pris le contrôle de plusieurs zones, dont des mines, notamment dans le territoire de Djugu. Certains membres des FARDC déployés pendant l’état de siège ont déplacé de force, violé et tué plusieurs civils, et ont détruit et pillé des maisons et des centres de santé. Certains ont également procédé à des bombardements aériens indiscriminés, qui ont endommagé des maisons et des écoles, et blessé voire possiblement tué des civils. Des mines d’or, en particulier à Mongbwalu, ont été contrôlées par des factions de la CODECO et par Zaïre. Certains membres des FARDC y ont également taxé de l’or. Dans le territoire de Mambasa, les Maï-Maï Simba, dirigés par Mangaribi, ont extrait de l’or et en ont fait le commerce, et certains membres des FARDC ont taxé des mines, notamment à Muchacha, dans les limites contestées de la réserve de faune à okapis. La quasi-totalité de l’or extrait en Ituri a été sortie en contrebande du pays. Au Sud-Kivu, la situation est restée très préoccupante dans les Hauts-Plateaux des territoires de Mwenga, d’Uvira et de Fizi, où les cycles de représailles entre groupes armés et les attaques contre les civils se sont poursuivis. Des attaques ciblées, en particulier contre la communauté banyamulenge, ont entraîné des déplacements de civils. La crise s’est étendue à d’autres zones, notamment les Moyens-Plateaux, le territoire de Fizi et la Plaine de la Ruzizi. La plupart des groupes armés ont bénéficié d’un important soutien local et de la diaspora pour leurs opérations. Des membres des Forces de défense nationale du Burundi (FDN) et des Imbonerakure ont fait des incursions dans les territoires de Fizi et d’Uvira, lesquelles se sont multipliées depuis décembre 2021. Ils ont reçu l’appui de groupes armés congolais qui ont agi comme éclaireurs ou qui se sont joints à eux lors d’opérations contre le groupe armé burundais Résistance pour un État de droit au Burundi (RED Tabara). Maï-Maï Yakutumba et ses alliés contrôlaient une partie de la production et du commerce de l’or provenant de certaines mines situées autour de la ville de Misisi. De même, dans la province du Tanganyika, les Maï-Maï Apa Na Pale ont extrait de l’or autour de Bendera et taxé les creuseurs artisanaux. Une partie de cet or a été introduite frauduleusement dans la chaîne d’approvisionnement légale et exportée légalement, tandis qu’une autre partie a été introduite en contrebande dans les pays voisins. En Ituri, au Nord et au Sud-Kivu, des attaques contre du personnel humanitaire ont entraîné la suspension et parfois la fermeture de projets, empêchant ainsi l’accès à l’assistance humanitaire ou sa distribution. Des accords bilatéraux de coopération militaire ont été conclus entre l e Gouvernement de la République démocratique du Congo et les Gouvernements du Burundi et de l’Ouganda. L’Ouganda n’a notifié au Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du Congo des opérations de l’UPDF dans le Nord-Kivu et en Ituri qu’après le lancement de celles-ci. Le Burundi n’a pas notifié le Comité des incursions des FDN et des Imbonerakure dans le Sud-Kivu. Certains matériels militaires ont été transférés aux forces de défense et de sécurité congolaises sans que le Comité en ait été préalablement notifié. Des documents bancaires comportant la mention « acquisition de produits agricoles », au lieu de matériel ou de formations militaires, ont révélé plusieurs transferts non notifiés au Comité et l’existence d’un système visant à dissimuler ces transferts en raison d’une mauvaise interprétation déclarée du régime de sanctions concernant la République démocratique du Congo.

I. Introduction

  1. Le mandat du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo a été reconduit par le Conseil de Sécurité dans sa résolution 2582 (2021) du 29 juin 2021. Après la suspension de toutes les candidatures proposées pour le Groupe d’experts à partir du 12 juillet, le Secrétaire général a nommé les membres du Groupe le 2 décembre (voir S/2021/1006). Le Groupe d’experts a donc commencé ses investigations plus de quatre mois après la prorogation de son mandat.
  2. Le rapport final du Groupe d’experts est présenté en application du paragraphe 6 de la résolution 2582 (2021). Comme demandé par le Conseil de sécurité au paragraphe 8 de sa résolution 2360 (2017), et à nouveau dans sa résolution 2582 (2021), le Groupe d’experts a échangé des informations avec le Groupe d’experts sur la Libye, le Groupe d’experts sur le Mali, le Groupe d’experts sur la Somalie et le Groupe d’experts sur le Soudan du Sud. Coopération avec la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo
  3. Le Groupe d’experts remercie la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) de son précieux soutien et de la collaboration dont elle a fait montre pendant la période considérée. Suite donnée aux demandes d’information du Groupe d’experts
  4. À la suite de la nomination de ses membres, le Groupe d’experts s’est entretenu avec des représentants de gouvernements, des acteurs du secteur privé et des représentants d’organisations de plusieurs pays. Il a adressé 74 courriers officiels à 54 États Membres, organisations internationales et entités privées. Au moment de l’établissement du présent rapport, il avait seulement reçu 33 réponses.
  5. Le Groupe d’experts regrette que les États Membres, y compris certains États membres du Comité et des États de la région, n’aient pas répondu en temps voulu et en nombre suffisant à ses demandes officielles d’information, et note que ces réponses sont essentielles à ses enquêtes.
  6. Le Groupe d’experts a conduit une visite officielle de trois jours au Rwanda et remercie le Gouvernement rwandais de la coopération dont il a fait montre.
  7. Le Groupe d’experts s’est également rendu en Ouganda pour une visite officielle de trois jours et remercie le Gouvernement ougandais de sa coopération. Il regrette toutefois que les autorités ougandaises ne lui aient pas permis de rencontrer des témoins clés ou d’accéder à des informations pertinentes pour ses enquêtes sur les réseaux régionaux de soutien aux Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces – ADF) et sur les attentats de 2021 à Kampala. 8. Le Groupe d’experts a envoyé des demandes de visite officielle aux gouvernements burundais et kenyan et regrette de ne pas avoir reçu de réponses sur le fond, bien que le Kenya ait accordé des visas aux membres du Groupe. Méthode de travail
  8. Le Groupe d’experts a appliqué les règles de preuve recommandées par le Groupe de travail informel du Conseil de sécurité sur les questions générales relatives aux sanctions (voir S/2006/997). Il a fondé ses conclusions sur des documents et, dans la mesure du possible, sur des observations de première main faites directement sur les lieux par les experts eux-mêmes.
  9. Compte tenu de la nature du conflit en République démocratique du Congo, rares sont les documents qui apportent la preuve irréfutable de transferts d’armes, de recrutement, de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans les cas de violations graves des droits de l’homme ou de l’exploitation illégale des ressources naturelles. Le Groupe d’experts a donc dû s’en remettre aux déclarations de témoins oculaires de membres des populations locales, d’ex-combattants et de combattants actuels de groupes armés. Il a également pris en compte le témoignage averti d’agents de l’État et d’officiers militaires de pays de la région des Grands Lacs et d’autres pays, ainsi que des sources des Nations Unies. Il a corroboré les informations en se servant d ’au moins trois sources indépendantes et fiables.
  10. Le présent rapport couvre les enquêtes menées jusqu’au 15 avril 2022. Compte tenu de la limitation du nombre de mots qui s’applique au présent rapport, certains détails concernant les preuves recueillies figurent à l’annexe 1. Verdict dans l’affaire des meurtres de membres du Groupe d’experts en mars 2017
  11. Le 29 janvier 2022, la cour militaire de l’ex-Kasaï-Occidental a rendu son verdict dans l’affaire des meurtres de Zaida Catalán et Michael J. Sharp, environ quatre ans et demi après le début du procès (voir annexe 2).
  12. Le Groupe d’experts prend note du verdict et des appels des parties. Il est toutefois préoccupé par le fait que sur les 50 accusés qui ont été condamnés, dont le colonel Jean de Dieu Mambweni des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), sont toujours en fuite. Il est également préoccupé par le fait que toutes les personnes impliquées dans ces meurtres n’ont pas été jugées, notamment leurs commanditaires et les personnes responsables de la disparition des quatre Congolais qui accompagnaient les deux membres du Groupe d’experts. Il regrette également que 49 des accusés aient été condamnés à la peine de mort et espère que la République démocratique du Congo maintiendra son moratoire de fait sur la peine de mort et que celle-ci sera prochainement abolie. II. Manquements à l’obligation de notification et accords de coopération militaire A. Acquisition de matériel militaire sous l’appellation de « produits agricoles »
  13. Le Groupe d’experts a examiné des informations montrant que, jusqu’au début de 2022, du matériel militaire a été transféré et des formations ont été dispensées aux forces de défense et de sécurité congolaises, soit directement par des sociétés et des instructeurs étrangers, soit par l’intermédiaire de sociétés enregistrées en République démocratique du Congo et agréées par le Ministère de la défense en tant que fournisseurs réglementés de biens importés, sans que le Comité en ait été préalablement notifié (voir annexe 3).
  14. Entre 2012 et 2018, la Banque centrale du Congo a exécuté des paiements vers plusieurs entreprises étrangères, en coordination avec des correspondants bancair es. Ces versements ont été effectués sur instruction du Ministère des finances, qui a agi selon des directives du Ministère de la défense. C’est ce dernier qui a décidé de l’appellation des paiements demandés .
  15. Alors que les paiements étaient destinés à l’acquisition de matériel militaire ou à la fourniture de formations organisées par des sociétés étrangères, plusieurs documents bancaires comportaient la mention « acquisition de produits agricoles », plutôt que de faire référence à du matériel ou à des formations militaires. En outre, parmi ces livraisons de matériel et ces formations dispensées aux forces de défense et de sécurité congolaises, certaines n’ont pas été préalablement notifiées au Comité, comme exigé par le Conseil de sécurité au paragraphe 5 de sa résolution 1807 (2008), puis à nouveau au paragraphe 1 de sa résolution 2293 (2016) et au paragraphe 1 de sa résolution 2582 (2021) (voir annexe 4). 17. Quatre officiers supérieurs des FARDC et trois institutions financières ont déclaré que la pratique de fausse appellation avait été initiée par le général François Olenga 2 , ancien Inspecteur-général des FARDC (2006-2012), ancien chef d’étatmajor par interim des forces armées (2012-2014) et ancien chef de la Maison Militaire (2014-2018). Cette pratique s’est poursuivie jusqu’en 2019 au moins. Selon la Banque centrale du Congo et plusieurs généraux des FARDC, en raison du régime d’embargo sur les armes, le pays ne pouvait pas officiellement acheter de matériel militaire. Afin de contourner cette interdiction perçue, les paiements pour les armes étaient présentés comme des paiements pour des produits agricoles, ce qui a conduit à des achats d’armes cachés et à la fraude documentaire.
  16. Le Groupe d’experts note que les institutions financières de la République démocratique du Congo, dans un souci de diminution des risques 3 , ont parfois refusé leurs services à des clients en lien avec l’achat de matériel militaire 4 . Cette interprétation du régime de sanctions est toutefois incorrecte, puisqu’en vertu des résolutions du Conseil de sécurité, la République démocratique du Congo est autorisée à acheter ou à recevoir officiellement du matériel et des formations militaires, à condition que l’État fournisseur en notifie le Comité. Ces notifications doivent garantir que les équipements militaires envoyés à la République démocratique du Congo sont livrés au seul destinataire autorisé, à savoir le Gouvernement, et non à un groupe armé ou à toute autre force déstabilisatrice. Elles renforcent également l’importance d’une surveillance attentive des équipements entrant dans le pays, cette surveillance restant un outil essentiel pour prévenir le détournement des stocks nationaux à destination de groupes armés . B. Coopération militaire et accords d’opérations militaires conjointes
  17. Au début de 2021, le Gouvernement de la République démocratique du Congo a conclu des accords bilatéraux de coopération militaire avec les gouvernements burundais et ougandais6 . Au moment de la rédaction du présent rapport, le Groupe d’experts n’avait pas obtenu d’informations précises concernant l’accord conclu avec le Burundi (voir également par. 162 à 168).
  18. À la mi-avril 2021, un accord de coopération militaire a été signé entre la République démocratique du Congo et l’Ouganda en vue de vaincre les ADF et de sécuriser les travaux de rénovation 7 des axes routiers Kasindi-Beni-Butembo et Bunangana-Rutshuru-Goma 8 . Il prévoyait une coopération accrue en matière de renseignement, un appui aérien et des tirs d’artillerie depuis le territoire ougandais, la création d’un centre de coordination des opérations conjointes, la construction d’une station de pilotage pour les drones de surveillance à la frontière entre les deux pays et un renforcement des contrôles aux frontières 9 . Il ne prévoyait pas, initialement, la présence de troupes ougandaises sur le territoire de la République démocratique du Congo10 . 21. Le 30 novembre 2021, des frappes aériennes et d’artillerie ont été lancées contre les ADF en prévision de l’entrée en République démocratique du Congo de troupes des Forces de défense populaires de l’Ouganda (Uganda People’s Defence Forces – UPDF) dans le cadre de l’opération Shuja, le jour même, par les postes-frontière de Busunga, en Ouganda, et de Nobili, en territoire de Beni 11. Le 23 décembre 2021, le Gouvernement ougandais a notifié au Comité le déploiement de personnel et de matériel de l’UPDF en République démocratique du Congo, leurs dates de départ et de rapatriement devant encore être convenues par les deux pays. Le 27 janvier 2022, les Ministres de la défense de la République démocratique du Congo et de l’Ouganda ont déclaré que la durée des opérations conjointes devait être prolongée, compte tenu de « la lenteur des opérations, due au terrain difficile, aux mauvaises conditions et aux contraintes logistiques ».
  19. Le Groupe rappelle qu’aux termes des dispositions du paragraphe 5 de la résolution 1807 (2008), reconduites au paragraphe 1 de la résolution 2293 (2016) et au paragraphe 1 de la résolution 2582 (2021), la fourniture d’une assistance impliquant la participation de troupes étrangères à des opérations militaires sur le territoire de la République démocratique du Congo doit être notifiée à l’avance au Comité. III. Nord-Kivu A. Forces démocratiques alliées Expansion territoriale dans le sud de l’Ituri Présence accrue et intensification des attaques dans le sud de l’Ituri
  20. Les ADF, groupe armé faisant l’objet de sanctions (CDe.001), ont commencé à étendre leur zone d’opérations dans le sud de l’Ituri de manière plus organisée et plus constante dès le début de 202013, après que le camp de Madina a été déplacé à la frontière entre le territoire de Beni et le sud du territoire d’Irumu. Auparavant, la présence temporaire des ADF et leurs incursions dans le sud de l’Ituri avaient principalement été motivées par des besoins de réapprovisionnement, comme indiqué précédemment.
  21. Compte tenu de l’éloignement du camp de Madina des sources d’approvisionnement, du nombre croissant de combattants et de personnes à charge depuis 2020, ainsi que de la menace militaire grandissante, les dirigeants des ADF ont décidé d’établir un camp supplémentaire plus au nord, dans le territoire d’Irumu, en Ituri16. Ce second camp, dénommé « Machine » par les combattants des ADF, a rapidement pris de l’importance et a été utilisé pour faciliter le réapprovisionnement du camp de Madina, tout en servant de base pour attaquer des civils et les FARDC à Kainama, et empêcher ces dernières de s’approcher de Madina. Le camp était dirigé par Mzee Wa Kazi, alias Lumisa, qui a conduit l’expansion des ADF en Ituri17 avec l’aide de Mzee Mayor, alias Nassa 18 . Ce dernier a mené des opérations avec des groupes mobiles qui ont établi des camps temporaires près des sites des attaques (voir annexe 5).
  22. À partir du début de 2020, les attaques se sont intensifiées dans le sud de l’Ituri. Une escalade a notamment a été observée à partir de mai 2021, lorsque des attaques simultanées ont été menées contre Boga et Tchabi, au cours desquelles plus de 50 civils ont été tués en une seule journée (voir par. 32). Plusieurs ex-combattants des ADF ont reconnu leur propre implication ou le rôle des ADF dans nombre de ces attaques. Alors que les ADF progressaient plus au nord, des attaques menées par les ADF contre des villages et des convois ont également été signalées le long de la RN4, sur un tronçon de 70 kilomètres entre Luna et Komanda. Les ADF ont atteint Komanda en septembre 2021, où ils ont notamment affronté la Force patriotique et intégrationniste du Congo (FPIC). Depuis octobre 2021, de multiples attaques des ADF ont été enregistrées dans le sud du territoire de Mambasa 21, une zone où les ADF étaient auparavant peu actif.
  23. À partir de décembre 2021, l’opération Shuja, une opération conjointe des FARDC et de l’UPDF qui visait notamment les positions des ADF (voir par. 19 à 21), a également contribué à déplacer les ADF et leur zone d’opérations, notamment dans le sud de l’Ituri (voir annexe 6).
    En conséquence, les ADF ont dû déplacer leurs camps de nouveau et se sont davantage dispersés dans le sud de l’Ituri, menant des attaques à des fins de diversion, de représailles et de réapprovisionnement. Alors que la localisation des dirigeants des ADF était encore incertaine lors de la rédaction du présent rapport, plusieurs sources faisaient état de prospections visant à trouver des lieux pour les nouveaux camps des ADF dans le territoire de Mambasa.
  24. Les ADF et Daech – également connu sous le nom d’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) – ont beaucoup communiqué sur l’expansion des ADF dans le sud de l’Ituri (voir annexe 7). Les ADF ont publié plusieurs vidéos de décapitations tournées en Ituri: la première en juin 2021, montrant Salim Mohamed Rashid, un ressortissant kenyan arrêté par les autorités congolaises en janvier 2022 (voir par. 36).
  25. À partir de la mi-2021, les ADF ont également lancé des attaques sur la route entre Beni et Butembo, dans le territoire de Beni, ainsi que dans la chefferie de Bashu, à la suite d’opérations des FARDC et de la MONUSCO visant les camps voisins de Mwalika dirigés par Amigo et Abwakasi . La chefferie de Bashu, qui avait été relativement épargnée jusqu’alors, a été l’un des points les plus méridionaux où des attaques des ADF ont été enregistrées. Les ADF ont également été actives dans la chefferie de Watalinga, y compris près du quartier général de l’opération Shuja, et ont continué à mener de multiples attaques dans le secteur de Rwenzori et autour des villes de Mamove et d’Oicha, où elles ont maintenu des camps.
  26. Bien qu’elles soient dispersées, les ADF sont toujours résilientes et capables de mener des attaques, parfois de manière simultanée, répétée ou en succession rapide. Selon la MONUSCO, elles ont tué plus de 1 300 civils depuis 2021. Cette escalade du nombre d’attaques et de meurtres de civils faisait partie des tactiques de représailles des ADF, qui visaient également à dissuader les opérations menées contre elles et à détourner les troupes des FARDC, de l’UPDF ou de la MONUSCO de certaines zones que les ADF considéraient comme plus vitales, telles que les environs de leurs camps principaux. Recrutement et instrumentalisation des tensions intercommunautaires dans le sud du territoire d’Irumu
  27. La stratégie d’expansion des ADF en Ituri a nécessité une intensification des recrutements, y compris dans leurs nouvelles zones d’opérations. À cette fin, les ADF ont instrumentalisé les conflits existants entre la communauté indigène Nyali-Tchabi et la communauté Hutu migrante, également appelée Banyabwisha (voir annexe 8). Les ADF avaient utilisé une stratégie de recrutement similaire au début des années 2000, lorsqu’elles avaient exploité les tensions entre les communautés Vuba et Nande dans le territoire de Beni.
  28. Alors que les ADF avaient initialement forgé une alliance avec les dirigeants Nyali-Tchabi, au début de 2021, les ADF ont commencé à recruter au sein de la communauté Hutu, avec le soutien, notamment, d’un individu dénommé Kamari, qui est devenu le chef des recrues Hutu dans les camps des ADF (voir annexe 9).
  29. Les ADF ont recruté et formé plus de 100 Hutus29, d’abord essentiellement sur la base du volontariat, bien que certains aient pu être trompés, forcés et/ou capturés, en particulier vers juillet 2021, lorsque des recrues mécontentes ont commencé à s’échapper. Les recrues Hutu ont été régulièrement utilisées comme combattants par les ADF, notamment lors des attaques de Boga et de Tchabi en mai 2021.
  30. En juillet 2021, les FARDC ont utilisé un grand nombre des recrues Hutu qui s’étaient échappées des camps des ADF, y compris des enfants, comme supplétifs pour combattre les ADF30 . Liens régionaux et internationaux : recrutement et financement 34. Les efforts accrus des ADF en matière de propagande, de sensibilisation et de mobilisation extérieures, y compris au moyen de leur allégeance à Daech, ont contribué à renforcer leurs réseaux et à étendre leur portée pour recruter, collecter des fonds et organiser des attaques armées au-delà des frontières de la République démocratique du Congo (voir par. 55 à 57). Le Groupe d’experts a recueilli des informations sur plusieurs individus ou cellules responsables du recrutement et du financement en Afrique du Sud, au Burundi, au Kenya, en Somalie et en RépubliqueUnie de Tanzanie, dont certains entretiennent des liens.

Recrutement

  1. D’ex-combattants des ADF ont continué de signaler la présence de recruteurs et de points focaux dans la région, en particulier le long des côtes kenyanes et tanzaniennes et au Burundi 32 . Des recruteurs ont facilité les recrutements et le transport de recrues, notamment en faisant de fausses promesses de travail en République démocratique du Congo, généralement dans des mines d’or (voir S/2021/560, par. 16 et annexe 6). Les mêmes sources ont également fait état de recrutements par des religieux ou des fidèles musulmans dans des mosquées et des écoles, notamment à Mombasa (Kenya) et à Bujumbura (Burundi).
  2. Des médias sociaux (Facebook, WhatsApp et Telegram) ont été utilisés, avec des groupes en ligne qui diffusaient une propagande radicale et encourageaient les membres de ces groupes à rejoindre le jihad, notamment en République démocratique du Congo ou au Mozambique. Certains de ces groupes en ligne étaient composés de personnes liées à Daech. Meddie Nkalubo34 et Abwakasi35, des dirigeants des ADF, ont joué un rôle clé dans ces activités de propagande en ligne36. Par exemple, Salim Mohamed Rashid (voir par. 27) et Hytham S.A. Alfar, un Jordanien arrêté près de Butembo en septembre 2021, ont déclaré avoir été en contact avec Nkalubo et Abwakasi avant de se rendre dans des camps des ADF (voir annexe 10). Salim a expliqué qu’il avait décidé de rejoindre les ADF après plusieurs tentatives infructueuses pour rejoindre Daech au Mozambique, en Somalie et en République arabe syrienne.
  3. Cela montre que l’allégeance des ADF à Daech et leur projet d’alignement avec ce dernier, ainsi que les revendications de Daech (voir par. 45), ont permis aux ADF d’accroître leur notoriété dans des cercles radicalisés.
  4. Les ADF ont capitalisé sur cette notoriété pour attirer des recrues hautement radicalisées et sont ainsi apparues comme une option possible pour des individus désireux de rejoindre Daech, au même titre que Daech en Libye, au Mozambique, en Somalie et en République arabe syrienne. Plusieurs recrues, dont Salim et Hytham, ont cependant été déçues par les conditions de vie difficiles ou les divergences idéologiques et ont rapidement quitté les camps des ADF.

Financement

  1. Le Groupe d’experts a établi que les ADF avaient reçu des financements de personnes basées en dehors de la République démocratique du Congo, par le biais d’intermédiaires à l’intérieur du pays et en Ouganda. Depuis 2018 au moins, des individus en Afrique du Sud et au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord envoient des fonds aux ADF au moyen de transferts d’argent sur un portefeuille mobile et de virements internationaux.
  2. Le Groupe d’experts a examiné des reçus de virements internationaux montrant que Waleed Ahmed Zein, qui a été spécialement désigné comme terroriste mondial par les États-Unis d’Amérique depuis le 7 septembre 201840, avait transféré des fonds à au moins une occasion, en 2018, à un individu en Ouganda collaborant avec Nkalubo. Des individus du réseau de Nkalubo ont reçu plus de 50 000 dollars en provenance d’Afrique du Sud par le biais de transferts sur des portefeuilles mobile en 2019 et 2020. Le Groupe d’experts a reçu des informations selon lesquelles certains des expéditeurs en Afrique du Sud avaient reçu des fonds d’Abdirizak Mohamed Abdi Jimale, récemment condamné par un tribunal militaire en Somalie pour avoir fina ncé Daech en Somalie.
  3. Ghislaine Kavira Sikakulya, alias Shengazi
    41 ou Shenga Yalala, ressortissante congolaise et ougandaise et membre éminente des ADF, arrêtée en octobre 2021 à Bunia, était en contact téléphonique régulier avec le chef des ADF, Seka Balu ku (CDi.036), visé par les sanctions, et son second Lukwago Hood, alias Pierro (voir S/2021/560, par. 14). Jusqu’à récemment, elle recevait des transferts d’argent d’un individu basé à Londres via des portefeuilles mobile42. Depuis 1996, Shengazi a joué un rôle essentiel de coordination pour les ADF en Ouganda et dans la région, notamment pour assurer
    Malgré l’état de siège en vigueur depuis 11 mois dans les provinces du NordKivu et de l’Ituri, en République démocratique du Congo, et malgré les opérations militaires des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), des Forces de défense populaires de l’Ouganda (Uganda People’s Defence Forces – UPDF) et de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), les conditions de sécurité et la situation humanitaire se sont dégradées dans les deux provinces. Au Nord-Kivu, le groupe armé Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces – ADF) a étendu sa zone d’opérations au sud de l’Ituri. Les ADF ont renforcé leur réseau et leur influence aux niveaux régional et international, notamment en ayant recours à la propagande, ce qui leur a permis d’assurer leur financement et de poursuivre les recrutements. Les liens de communication entre les ADF et Daech – également connu sous le nom d’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) – se sont renforcés, bien que le Groupe d’experts n’ait pas pu établir si Daech fournissait un appui direct aux ADF ou exerçait un commandement et un contrôle sur elles. Les techniques des ADF dans le domaine des engins explosifs improvisés ont évolué. Les ADF ont commencé à les utiliser en milieu urbain, tant en République démocratique du Congo que dans des pays voisins. Le Mouvement du 23 mars (M23) a refait surface et, à partir de novembre 2021, des combattants bien équipés, dirigés par le « général » Sultani Makenga, ont lancé une série d’attaques meurtrières contre des positions des FARDC et de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), ont volé des armes et ont occupé des points stratégiques où se rejoignent les frontières de la République démocratique du Congo, de l’Ouganda et du Rwanda. Les opérations du M23 ont aggravé les tensions dans la région. Les Forces démocratiques de libération du Rwanda-Forces combattantes abacunguzi (FDLR-FOCA) ont poursuivi leurs activités dans le parc national des Virunga, lancé une nouvelle campagne de recrutement et renforcé leur coopération avec des groupes armés locaux. Des réseaux criminels et certains membres des FARDC ont continué de se livrer au trafic de coltan non étiqueté provenant de mines du territoire de Masisi et au trafic de tourmaline provenant de la mine de Rukaza, également située dans le territoire de Masisi, et d’en tirer profit. Certaines de ces mines ont été visées par des attaques armées et certains minerais ont été introduits en contrebande au Rwanda pour y être commercialisés. En Ituri, dans les territoires de Djugu et de Mahagi, des factions de la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO) ont multiplié les attaques contre les FARDC, le groupe armé Zaïre et les civils. L’Union des révolutionnaires pour la défense du peuple congolais/Coopérative pour le développement du Congo (URDPC/CODECO) a attaqué des camps de personnes déplacées, tuant des femmes et des enfants. Des combattants de la CODECO ont violé, parfois en réunion, des femmes et des filles. Des factions de la CODECO ont continué d’utiliser des enfants, notamment comme combattants.
    Zaïre est devenu plus visible, ayant notamment mené des opérations contre des factions de la CODECO, commis des crimes contre des civils et pris le contrôle de plusieurs zones, dont des mines, notamment dans le territoire de Djugu. Certains membres des FARDC déployés pendant l’état de siège ont déplacé de force, violé et tué plusieurs civils, et ont détruit et pillé des maisons et des centres de santé. Certains ont également procédé à des bombardements aériens indiscriminés, qui ont endommagé des maisons et des écoles, et blessé voire possiblement tué des civils. Des mines d’or, en particulier à Mongbwalu, ont été contrôlées par des factions de la CODECO et par Zaïre. Certains membres des FARDC y ont également taxé de l’or. Dans le territoire de Mambasa, les Maï-Maï Simba, dirigés par Mangaribi, ont extrait de l’or et en ont fait le commerce, et certains membres des FARDC ont taxé des mines, notamment à Muchacha, dans les limites contestées de la réserve de faune à okapis. La quasi-totalité de l’or extrait en Ituri a été sortie en contrebande du pays. Au Sud-Kivu, la situation est restée très préoccupante dans les Hauts-Plateaux des territoires de Mwenga, d’Uvira et de Fizi, où les cycles de représailles entre groupes armés et les attaques contre les civils se sont poursuivis. Des attaques ciblées, en particulier contre la communauté banyamulenge, ont entraîné des déplacements de civils. La crise s’est étendue à d’autres zones, notamment les Moyens-Plateaux, le territoire de Fizi et la Plaine de la Ruzizi. La plupart des groupes armés ont bénéficié d’un important soutien local et de la diaspora pour leurs opérations. Des membres des Forces de défense nationale du Burundi (FDN) et des Imbonerakure ont fait des incursions dans les territoires de Fizi et d’Uvira, lesquelles se sont multipliées depuis décembre 2021. Ils ont reçu l’appui de groupes armés congolais qui ont agi comme éclaireurs ou qui se sont joints à eux lors d’opérations contre le groupe armé burundais Résistance pour un État de droit au Burundi (RED Tabara). Maï-Maï Yakutumba et ses alliés contrôlaient une partie de la production et du commerce de l’or provenant de certaines mines situées autour de la ville de Misisi. De même, dans la province du Tanganyika, les Maï-Maï Apa Na Pale ont extrait de l’or autour de Bendera et taxé les creuseurs artisanaux. Une partie de cet or a été introduite frauduleusement dans la chaîne d’approvisionnement légale et exportée légalement, tandis qu’une autre partie a été introduite en contrebande dans les pays voisins. En Ituri, au Nord et au Sud-Kivu, des attaques contre du personnel humanitaire ont entraîné la suspension et parfois la fermeture de projets, empêchant ainsi l’accès à l’assistance humanitaire ou sa distribution. Des accords bilatéraux de coopération militaire ont été conclus entre l e Gouvernement de la République démocratique du Congo et les Gouvernements du Burundi et de l’Ouganda. L’Ouganda n’a notifié au Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du Congo des opérations de l’UPDF dans le Nord-Kivu et en Ituri qu’après le lancement de celles-ci. Le Burundi n’a pas notifié le Comité des incursions des FDN et des Imbonerakure dans le Sud-Kivu. Certains matériels militaires ont été transférés aux forces de défense et de sécurité congolaises sans que le Comité en ait été préalablement notifié. Des documents bancaires comportant la mention « acquisition de produits agricoles », au lieu de matériel ou de formations militaires, ont révélé plusieurs transferts non notifiés au Comité et l’existence d’un système visant à dissimuler ces transferts en raison d’une mauvaise interprétation déclarée du régime de sanctions concernant la République démocratique du Congo.

I. Introduction

  1. Le mandat du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo a été reconduit par le Conseil de Sécurité dans sa résolution 2582 (2021) du 29 juin 2021. Après la suspension de toutes les candidatures proposées pour le Groupe d’experts à partir du 12 juillet, le Secrétaire général a nommé les membres du Groupe le 2 décembre (voir S/2021/1006). Le Groupe d’experts a donc commencé ses investigations plus de quatre mois après la prorogation de son mandat.
  2. Le rapport final du Groupe d’experts est présenté en application du paragraphe 6 de la résolution 2582 (2021). Comme demandé par le Conseil de sécurité au paragraphe 8 de sa résolution 2360 (2017), et à nouveau dans sa résolution 2582 (2021), le Groupe d’experts a échangé des informations avec le Groupe d’experts sur la Libye, le Groupe d’experts sur le Mali, le Groupe d’experts sur la Somalie et le Groupe d’experts sur le Soudan du Sud. Coopération avec la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo
  3. Le Groupe d’experts remercie la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) de son précieux soutien et de la collaboration dont elle a fait montre pendant la période considérée. Suite donnée aux demandes d’information du Groupe d’experts
  4. À la suite de la nomination de ses membres, le Groupe d’experts s’est entretenu avec des représentants de gouvernements, des acteurs du secteur privé et des représentants d’organisations de plusieurs pays. Il a adressé 74 courriers officiels à 54 États Membres, organisations internationales et entités privées. Au moment de l’établissement du présent rapport, il avait seulement reçu 33 réponses.
  5. Le Groupe d’experts regrette que les États Membres, y compris certains États membres du Comité et des États de la région, n’aient pas répondu en temps voulu et en nombre suffisant à ses demandes officielles d’information, et note que ces réponses sont essentielles à ses enquêtes.
  6. Le Groupe d’experts a conduit une visite officielle de trois jours au Rwanda et remercie le Gouvernement rwandais de la coopération dont il a fait montre.
  7. Le Groupe d’experts s’est également rendu en Ouganda pour une visite officielle de trois jours et remercie le Gouvernement ougandais de sa coopération. Il regrette toutefois que les autorités ougandaises ne lui aient pas permis de rencontrer des témoins clés ou d’accéder à des informations pertinentes pour ses enquêtes sur les réseaux régionaux de soutien aux Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces – ADF) et sur les attentats de 2021 à Kampala. 8. Le Groupe d’experts a envoyé des demandes de visite officielle aux gouvernements burundais et kenyan et regrette de ne pas avoir reçu de réponses sur le fond, bien que le Kenya ait accordé des visas aux membres du Groupe. Méthode de travail
  8. Le Groupe d’experts a appliqué les règles de preuve recommandées par le Groupe de travail informel du Conseil de sécurité sur les questions générales relatives aux sanctions (voir S/2006/997). Il a fondé ses conclusions sur des documents et, dans la mesure du possible, sur des observations de première main faites directement sur les lieux par les experts eux-mêmes.
  9. Compte tenu de la nature du conflit en République démocratique du Congo, rares sont les documents qui apportent la preuve irréfutable de transferts d’armes, de recrutement, de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans les cas de violations graves des droits de l’homme ou de l’exploitation illégale des ressources naturelles. Le Groupe d’experts a donc dû s’en remettre aux déclarations de témoins oculaires de membres des populations locales, d’ex-combattants et de combattants actuels de groupes armés. Il a également pris en compte le témoignage averti d’agents de l’État et d’officiers militaires de pays de la région des Grands Lacs et d’autres pays, ainsi que des sources des Nations Unies. Il a corroboré les informations en se servant d ’au moins trois sources indépendantes et fiables.
  10. Le présent rapport couvre les enquêtes menées jusqu’au 15 avril 2022. Compte tenu de la limitation du nombre de mots qui s’applique au présent rapport, certains détails concernant les preuves recueillies figurent à l’annexe 1. Verdict dans l’affaire des meurtres de membres du Groupe d’experts en mars 2017
  11. Le 29 janvier 2022, la cour militaire de l’ex-Kasaï-Occidental a rendu son verdict dans l’affaire des meurtres de Zaida Catalán et Michael J. Sharp, environ quatre ans et demi après le début du procès (voir annexe 2).
  12. Le Groupe d’experts prend note du verdict et des appels des parties. Il est toutefois préoccupé par le fait que sur les 50 accusés qui ont été condamnés, dont le colonel Jean de Dieu Mambweni des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), sont toujours en fuite. Il est également préoccupé par le fait que toutes les personnes impliquées dans ces meurtres n’ont pas été jugées, notamment leurs commanditaires et les personnes responsables de la disparition des quatre Congolais qui accompagnaient les deux membres du Groupe d’experts. Il regrette également que 49 des accusés aient été condamnés à la peine de mort et espère que la République démocratique du Congo maintiendra son moratoire de fait sur la peine de mort et que celle-ci sera prochainement abolie. II. Manquements à l’obligation de notification et accords de coopération militaire A. Acquisition de matériel militaire sous l’appellation de « produits agricoles »
  13. Le Groupe d’experts a examiné des informations montrant que, jusqu’au début de 2022, du matériel militaire a été transféré et des formations ont été dispensées aux forces de défense et de sécurité congolaises, soit directement par des sociétés et des instructeurs étrangers, soit par l’intermédiaire de sociétés enregistrées en République démocratique du Congo et agréées par le Ministère de la défense en tant que fournisseurs réglementés de biens importés, sans que le Comité en ait été préalablement notifié (voir annexe 3).
  14. Entre 2012 et 2018, la Banque centrale du Congo a exécuté des paiements vers plusieurs entreprises étrangères, en coordination avec des correspondants bancair es. Ces versements ont été effectués sur instruction du Ministère des finances, qui a agi selon des directives du Ministère de la défense. C’est ce dernier qui a décidé de l’appellation des paiements demandés .
  15. Alors que les paiements étaient destinés à l’acquisition de matériel militaire ou à la fourniture de formations organisées par des sociétés étrangères, plusieurs documents bancaires comportaient la mention « acquisition de produits agricoles », plutôt que de faire référence à du matériel ou à des formations militaires. En outre, parmi ces livraisons de matériel et ces formations dispensées aux forces de défense et de sécurité congolaises, certaines n’ont pas été préalablement notifiées au Comité, comme exigé par le Conseil de sécurité au paragraphe 5 de sa résolution 1807 (2008), puis à nouveau au paragraphe 1 de sa résolution 2293 (2016) et au paragraphe 1 de sa résolution 2582 (2021) (voir annexe 4). 17. Quatre officiers supérieurs des FARDC et trois institutions financières ont déclaré que la pratique de fausse appellation avait été initiée par le général François Olenga 2 , ancien Inspecteur-général des FARDC (2006-2012), ancien chef d’étatmajor par interim des forces armées (2012-2014) et ancien chef de la Maison Militaire (2014-2018). Cette pratique s’est poursuivie jusqu’en 2019 au moins. Selon la Banque centrale du Congo et plusieurs généraux des FARDC, en raison du régime d’embargo sur les armes, le pays ne pouvait pas officiellement acheter de matériel militaire. Afin de contourner cette interdiction perçue, les paiements pour les armes étaient présentés comme des paiements pour des produits agricoles, ce qui a conduit à des achats d’armes cachés et à la fraude documentaire.
  16. Le Groupe d’experts note que les institutions financières de la République démocratique du Congo, dans un souci de diminution des risques 3 , ont parfois refusé leurs services à des clients en lien avec l’achat de matériel militaire 4 . Cette interprétation du régime de sanctions est toutefois incorrecte, puisqu’en vertu des résolutions du Conseil de sécurité, la République démocratique du Congo est autorisée à acheter ou à recevoir officiellement du matériel et des formations militaires, à condition que l’État fournisseur en notifie le Comité. Ces notifications doivent garantir que les équipements militaires envoyés à la République démocratique du Congo sont livrés au seul destinataire autorisé, à savoir le Gouvernement, et non à un groupe armé ou à toute autre force déstabilisatrice. Elles renforcent également l’importance d’une surveillance attentive des équipements entrant dans le pays, cette surveillance restant un outil essentiel pour prévenir le détournement des stocks nationaux à destination de groupes armés . B. Coopération militaire et accords d’opérations militaires conjointes
  17. Au début de 2021, le Gouvernement de la République démocratique du Congo a conclu des accords bilatéraux de coopération militaire avec les gouvernements burundais et ougandais6 . Au moment de la rédaction du présent rapport, le Groupe d’experts n’avait pas obtenu d’informations précises concernant l’accord conclu avec le Burundi (voir également par. 162 à 168).
  18. À la mi-avril 2021, un accord de coopération militaire a été signé entre la République démocratique du Congo et l’Ouganda en vue de vaincre les ADF et de sécuriser les travaux de rénovation 7 des axes routiers Kasindi-Beni-Butembo et Bunangana-Rutshuru-Goma 8 . Il prévoyait une coopération accrue en matière de renseignement, un appui aérien et des tirs d’artillerie depuis le territoire ougandais, la création d’un centre de coordination des opérations conjointes, la construction d’une station de pilotage pour les drones de surveillance à la frontière entre les deux pays et un renforcement des contrôles aux frontières 9 . Il ne prévoyait pas, initialement, la présence de troupes ougandaises sur le territoire de la République démocratique du Congo10 . 21. Le 30 novembre 2021, des frappes aériennes et d’artillerie ont été lancées contre les ADF en prévision de l’entrée en République démocratique du Congo de troupes des Forces de défense populaires de l’Ouganda (Uganda People’s Defence Forces – UPDF) dans le cadre de l’opération Shuja, le jour même, par les postes-frontière de Busunga, en Ouganda, et de Nobili, en territoire de Beni 11. Le 23 décembre 2021, le Gouvernement ougandais a notifié au Comité le déploiement de personnel et de matériel de l’UPDF en République démocratique du Congo, leurs dates de départ et de rapatriement devant encore être convenues par les deux pays. Le 27 janvier 2022, les Ministres de la défense de la République démocratique du Congo et de l’Ouganda ont déclaré que la durée des opérations conjointes devait être prolongée, compte tenu de « la lenteur des opérations, due au terrain difficile, aux mauvaises conditions et aux contraintes logistiques ».
  19. Le Groupe rappelle qu’aux termes des dispositions du paragraphe 5 de la résolution 1807 (2008), reconduites au paragraphe 1 de la résolution 2293 (2016) et au paragraphe 1 de la résolution 2582 (2021), la fourniture d’une assistance impliquant la participation de troupes étrangères à des opérations militaires sur le territoire de la République démocratique du Congo doit être notifiée à l’avance au Comité. III. Nord-Kivu A. Forces démocratiques alliées Expansion territoriale dans le sud de l’Ituri Présence accrue et intensification des attaques dans le sud de l’Ituri
  20. Les ADF, groupe armé faisant l’objet de sanctions (CDe.001), ont commencé à étendre leur zone d’opérations dans le sud de l’Ituri de manière plus organisée et plus constante dès le début de 202013, après que le camp de Madina a été déplacé à la frontière entre le territoire de Beni et le sud du territoire d’Irumu. Auparavant, la présence temporaire des ADF et leurs incursions dans le sud de l’Ituri avaient principalement été motivées par des besoins de réapprovisionnement, comme indiqué précédemment.
  21. Compte tenu de l’éloignement du camp de Madina des sources d’approvisionnement, du nombre croissant de combattants et de personnes à charge depuis 2020, ainsi que de la menace militaire grandissante, les dirigeants des ADF ont décidé d’établir un camp supplémentaire plus au nord, dans le territoire d’Irumu, en Ituri16. Ce second camp, dénommé « Machine » par les combattants des ADF, a rapidement pris de l’importance et a été utilisé pour faciliter le réapprovisionnement du camp de Madina, tout en servant de base pour attaquer des civils et les FARDC à Kainama, et empêcher ces dernières de s’approcher de Madina. Le camp était dirigé par Mzee Wa Kazi, alias Lumisa, qui a conduit l’expansion des ADF en Ituri17 avec l’aide de Mzee Mayor, alias Nassa 18 . Ce dernier a mené des opérations avec des groupes mobiles qui ont établi des camps temporaires près des sites des attaques (voir annexe 5).
  22. À partir du début de 2020, les attaques se sont intensifiées dans le sud de l’Ituri. Une escalade a notamment a été observée à partir de mai 2021, lorsque des attaques simultanées ont été menées contre Boga et Tchabi, au cours desquelles plus de 50 civils ont été tués en une seule journée (voir par. 32). Plusieurs ex-combattants des ADF ont reconnu leur propre implication ou le rôle des ADF dans nombre de ces attaques. Alors que les ADF progressaient plus au nord, des attaques menées par les ADF contre des villages et des convois ont également été signalées le long de la RN4, sur un tronçon de 70 kilomètres entre Luna et Komanda. Les ADF ont atteint Komanda en septembre 2021, où ils ont notamment affronté la Force patriotique et intégrationniste du Congo (FPIC). Depuis octobre 2021, de multiples attaques des ADF ont été enregistrées dans le sud du territoire de Mambasa 21, une zone où les ADF étaient auparavant peu actif.
  23. À partir de décembre 2021, l’opération Shuja, une opération conjointe des FARDC et de l’UPDF qui visait notamment les positions des ADF (voir par. 19 à 21), a également contribué à déplacer les ADF et leur zone d’opérations, notamment dans le sud de l’Ituri (voir annexe 6).
    En conséquence, les ADF ont dû déplacer leurs camps de nouveau et se sont davantage dispersés dans le sud de l’Ituri, menant des attaques à des fins de diversion, de représailles et de réapprovisionnement. Alors que la localisation des dirigeants des ADF était encore incertaine lors de la rédaction du présent rapport, plusieurs sources faisaient état de prospections visant à trouver des lieux pour les nouveaux camps des ADF dans le territoire de Mambasa.
  24. Les ADF et Daech – également connu sous le nom d’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) – ont beaucoup communiqué sur l’expansion des ADF dans le sud de l’Ituri (voir annexe 7). Les ADF ont publié plusieurs vidéos de décapitations tournées en Ituri: la première en juin 2021, montrant Salim Mohamed Rashid, un ressortissant kenyan arrêté par les autorités congolaises en janvier 2022 (voir par. 36).
  25. À partir de la mi-2021, les ADF ont également lancé des attaques sur la route entre Beni et Butembo, dans le territoire de Beni, ainsi que dans la chefferie de Bashu, à la suite d’opérations des FARDC et de la MONUSCO visant les camps voisins de Mwalika dirigés par Amigo et Abwakasi . La chefferie de Bashu, qui avait été relativement épargnée jusqu’alors, a été l’un des points les plus méridionaux où des attaques des ADF ont été enregistrées. Les ADF ont également été actives dans la chefferie de Watalinga, y compris près du quartier général de l’opération Shuja, et ont continué à mener de multiples attaques dans le secteur de Rwenzori et autour des villes de Mamove et d’Oicha, où elles ont maintenu des camps.
  26. Bien qu’elles soient dispersées, les ADF sont toujours résilientes et capables de mener des attaques, parfois de manière simultanée, répétée ou en succession rapide. Selon la MONUSCO, elles ont tué plus de 1 300 civils depuis 2021. Cette escalade du nombre d’attaques et de meurtres de civils faisait partie des tactiques de représailles des ADF, qui visaient également à dissuader les opérations menées contre elles et à détourner les troupes des FARDC, de l’UPDF ou de la MONUSCO de certaines zones que les ADF considéraient comme plus vitales, telles que les environs de leurs camps principaux. Recrutement et instrumentalisation des tensions intercommunautaires dans le sud du territoire d’Irumu
  27. La stratégie d’expansion des ADF en Ituri a nécessité une intensification des recrutements, y compris dans leurs nouvelles zones d’opérations. À cette fin, les ADF ont instrumentalisé les conflits existants entre la communauté indigène Nyali-Tchabi et la communauté Hutu migrante, également appelée Banyabwisha (voir annexe 8). Les ADF avaient utilisé une stratégie de recrutement similaire au début des années 2000, lorsqu’elles avaient exploité les tensions entre les communautés Vuba et Nande dans le territoire de Beni.
  28. Alors que les ADF avaient initialement forgé une alliance avec les dirigeants Nyali-Tchabi, au début de 2021, les ADF ont commencé à recruter au sein de la communauté Hutu, avec le soutien, notamment, d’un individu dénommé Kamari, qui est devenu le chef des recrues Hutu dans les camps des ADF (voir annexe 9).
  29. Les ADF ont recruté et formé plus de 100 Hutus29, d’abord essentiellement sur la base du volontariat, bien que certains aient pu être trompés, forcés et/ou capturés, en particulier vers juillet 2021, lorsque des recrues mécontentes ont commencé à s’échapper. Les recrues Hutu ont été régulièrement utilisées comme combattants par les ADF, notamment lors des attaques de Boga et de Tchabi en mai 2021.
  30. En juillet 2021, les FARDC ont utilisé un grand nombre des recrues Hutu qui s’étaient échappées des camps des ADF, y compris des enfants, comme supplétifs pour combattre les ADF30 . Liens régionaux et internationaux : recrutement et financement 34. Les efforts accrus des ADF en matière de propagande, de sensibilisation et de mobilisation extérieures, y compris au moyen de leur allégeance à Daech, ont contribué à renforcer leurs réseaux et à étendre leur portée pour recruter, collecter des fonds et organiser des attaques armées au-delà des frontières de la République démocratique du Congo (voir par. 55 à 57). Le Groupe d’experts a recueilli des informations sur plusieurs individus ou cellules responsables du recrutement et du financement en Afrique du Sud, au Burundi, au Kenya, en Somalie et en RépubliqueUnie de Tanzanie, dont certains entretiennent des liens.

Recrutement

  1. D’ex-combattants des ADF ont continué de signaler la présence de recruteurs et de points focaux dans la région, en particulier le long des côtes kenyanes et tanzaniennes et au Burundi 32 . Des recruteurs ont facilité les recrutements et le transport de recrues, notamment en faisant de fausses promesses de travail en République démocratique du Congo, généralement dans des mines d’or (voir S/2021/560, par. 16 et annexe 6). Les mêmes sources ont également fait état de recrutements par des religieux ou des fidèles musulmans dans des mosquées et des écoles, notamment à Mombasa (Kenya) et à Bujumbura (Burundi).
  2. Des médias sociaux (Facebook, WhatsApp et Telegram) ont été utilisés, avec des groupes en ligne qui diffusaient une propagande radicale et encourageaient les membres de ces groupes à rejoindre le jihad, notamment en République démocratique du Congo ou au Mozambique. Certains de ces groupes en ligne étaient composés de personnes liées à Daech. Meddie Nkalubo34 et Abwakasi35, des dirigeants des ADF, ont joué un rôle clé dans ces activités de propagande en ligne36. Par exemple, Salim Mohamed Rashid (voir par. 27) et Hytham S.A. Alfar, un Jordanien arrêté près de Butembo en septembre 2021, ont déclaré avoir été en contact avec Nkalubo et Abwakasi avant de se rendre dans des camps des ADF (voir annexe 10). Salim a expliqué qu’il avait décidé de rejoindre les ADF après plusieurs tentatives infructueuses pour rejoindre Daech au Mozambique, en Somalie et en République arabe syrienne.
  3. Cela montre que l’allégeance des ADF à Daech et leur projet d’alignement avec ce dernier, ainsi que les revendications de Daech (voir par. 45), ont permis aux ADF d’accroître leur notoriété dans des cercles radicalisés.
  4. Les ADF ont capitalisé sur cette notoriété pour attirer des recrues hautement radicalisées et sont ainsi apparues comme une option possible pour des individus désireux de rejoindre Daech, au même titre que Daech en Libye, au Mozambique, en Somalie et en République arabe syrienne. Plusieurs recrues, dont Salim et Hytham, ont cependant été déçues par les conditions de vie difficiles ou les divergences idéologiques et ont rapidement quitté les camps des ADF.

Financement

  1. Le Groupe d’experts a établi que les ADF avaient reçu des financements de personnes basées en dehors de la République démocratique du Congo, par le biais d’intermédiaires à l’intérieur du pays et en Ouganda. Depuis 2018 au moins, des individus en Afrique du Sud et au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord envoient des fonds aux ADF au moyen de transferts d’argent sur un portefeuille mobile et de virements internationaux.
  2. Le Groupe d’experts a examiné des reçus de virements internationaux montrant que Waleed Ahmed Zein, qui a été spécialement désigné comme terroriste mondial par les États-Unis d’Amérique depuis le 7 septembre 201840, avait transféré des fonds à au moins une occasion, en 2018, à un individu en Ouganda collaborant avec Nkalubo. Des individus du réseau de Nkalubo ont reçu plus de 50 000 dollars en provenance d’Afrique du Sud par le biais de transferts sur des portefeuilles mobile en 2019 et 2020. Le Groupe d’experts a reçu des informations selon lesquelles certains des expéditeurs en Afrique du Sud avaient reçu des fonds d’Abdirizak Mohamed Abdi Jimale, récemment condamné par un tribunal militaire en Somalie pour avoir fina ncé Daech en Somalie.
  3. Ghislaine Kavira Sikakulya, alias Shengazi
    41 ou Shenga Yalala, ressortissante congolaise et ougandaise et membre éminente des ADF, arrêtée en octobre 2021 à Bunia, était en contact téléphonique régulier avec le chef des ADF, Seka Balu ku (CDi.036), visé par les sanctions, et son second Lukwago Hood, alias Pierro (voir S/2021/560, par. 14). Jusqu’à récemment, elle recevait des transferts d’argent d’un individu basé à Londres via des portefeuilles mobile42. Depuis 1996, Shengazi a joué un rôle essentiel de coordination pour les ADF en Ouganda et dans la région, notamment pour assurer l’arrivée des nouvelles recrues.
  4. Benjamin Kisokeranio, proche conseiller du fondateur des ADF Jamil Mukulu, visé par les sanctions (CDi.015) (voir S/2021/560, par. 15 et annexe 5), et sa seconde épouse, Nahimana Amina, ont reçu des virements internationaux d’une personne établie à Londres entre 2017 et 2019. Kisokeranio a indiqué que la personne en question envoyait des fonds aux ADF par l’intermédiaire de ses proches depuis au moins 2010 (voir S/2011/738, par. 61). Kisokeranio a reçu cet argent après sa scission avec le groupe principal des ADF.
  5. Le Groupe d’experts a examiné des transferts d’argent envoyés depuis la République démocratique du Congo par Airtel Money vers une carte SIM appartenant à un combattant des ADF, que celui-ci avait perdue lors d’affrontements avec les FARDC en octobre 2021. Entre seulement juillet et la mi-octobre 2021, plus de 60 000 dollars ont transité par le compte associé à la carte SIM. L’argent a été envoyé sur le compte à partir de trois numéros congolais, puis les fonds ont é té transférés vers des comptes associés à au moins 40 autres numéros. L’un des trois numéros congolais était lié au téléphone portable qui a déclenché l’explosion d’Oicha (voir par. 53). D’autres numéros appartenaient à des combattants et à des dirigeants des ADF, notamment Nkalubo et Abwakasi, qui ont reçu respectivement plus de 6 000 et 4 000 dollars. Un collaborateur des ADF, qui a été arrêté pour sa participation à ce réseau, a expliqué que Musa Kamusi, un combattant des ADF, lui avait demandé de l’aider à réactiver la carte SIM perdue (voir annexe 11). Kamusi travaillait avec Amigo pour coordonner le réseau de collaborateurs des ADF en Ouganda et dans la région pour le transport des recrues et du matériel . Liens avec Daech
  6. Le Groupe d’experts a établi que les premiers contacts entre les ADF et Daech ont eu lieu dès 2017, notamment par l’intermédiaire de Meddie Nkalubo. Kisokeranio a également confirmé que Baluku avait prêté allégeance à Daech pour la première fois en 2017, ce qui avait été la principale raison de son départ des ADF .
  7. En mars 2022, les ADF ont renouvelé leur allégeance à Daech après la mort du chef de l’organisation, Abu Ibrahim Al-Qurashi, un mois plus tôt (voir annexe 12).
  8. Les échanges entre les ADF et Daech ont continué de s’intensifier.
    Les revendications de Daech concernant des attaques en République démocratique du Congo ont été plus nombreuses et plus précises, et transmises plus rapidement (voir annexe 13), même si l’opération Shuja a pu perturber temporairement ces échanges. En outre, si les ADF ont réduit le nombre de leurs publications sur leurs canaux officiels par rapport à 2020, certaines de ces publications étaient clairement destinées à continuer de projeter leur alignement avec Daech (voir annexe 14).
  9. Selon plusieurs sources, Daech aurait fourni aux ADF une orientation idéologique, et aurait soutenu, coordonné ou dirigé ses affiliés 50, à savoir les ADF en République démocratique du Congo et Ahl al-Sunna wal-Jama’a au Mozambique (ASWJ), par l’intermédiaire de son bureau Al-Karrar au Puntland, en Somalie51, qui est hébergé par Daech en Somalie. Daech en Somalie et le bureau Al-Karrar de Daech sont tous deux dirigés par Yusuf Abulqadir Mumin. Par ailleurs, dans un enregistrement audio diffusé sur la chaîne de propagande privée des ADF en février 2022, Baluku a affirmé être en contact avec Daech en Somalie. Dans un autre enregistrement, réalisé en mai 2021, il a mentionné les directives de Daech pour conquérir et occuper de nouveaux territoires, qu’il a affirmé avoir suivies.
  10. S’il n’exclut pas l’existence de liens entre les ADF et le bureau Al-Karrar de Daech ou Daech en Somalie, le Groupe d’experts n’avait pu confirmer ces liens au moment de la rédaction du présent rapport. Il n’a pas pu non plus établir l’existence d’un soutien direct de Daech aux ADF, qu’il soit financier, matériel ou humain, ni confirmer que Daech exerçait un commandement et un contrôle sur les ADF. Progrès des ADF dans la fabrication de bombes et utilisation d’engins explosifs improvisés en milieu urbain en République démocratique du Congo, au Rwanda et en Ouganda Utilisation d’engins explosifs improvisés, y compris portés par des personnes, en milieu urbain
  11. L’utilisation accrue d’engins explosifs improvisés par les ADF, comme indiqué précédemment (voir S/2021/560, par. 19), a atteint un premier pic les 26 et 27 juin 2021 dans la ville de Beni, où trois engins ont explosé en milieu urbain. Ces engins visaient directement la population civile. Trois autres engins ont explosé dans des zones urbaines en décembre 2021 et en janvier et février 2022 (voir par. 50 à 54). En outre, des engins explosifs improvisés ont explosé ou ont été découve rts dans des zones rurales. Dans plusieurs cas, des corps avaient été piégés (voir annexe 15).
  12. L’explosion du 26 juin s’est produite dans le centre de Beni, près d’une stationservice, où un engin explosif improvisé avait été placé sur un camion-citerne transportant de l’essence. L’explosion n’a fait aucune victime, bien que la personne qui avait installé le dispositif ait très probablement cherché à provoquer l’explosion des liquides inflammables présents sur le site. Une deuxième explosion s’est produite aux premières heures du 27 juin à l’intérieur de l’église catholique assomptionniste de Mulekera dans la ville de Beni, blessant deux agents d’entretien nettoyeurs. Aucun autre civil n’était présent au moment de l’explosion, ce qui laisse penser à une détonation accidentelle ou prématurée. Une troisième explosion s’est produite dans la soirée de cette même journée, à proximité d’un magasin d’alimentation et d’un bar, tuant le porteur de l’engin, qui a été identifié comme étant Issa Mando, un ancien soldat des FARDC qui avait rejoint les ADF après son évasion de la prison de Kangbayi en octobre 2020 (voir annexe 16). Plusieurs des conséquences des explosions, telles que les types de blessures infligées54 et le nombre limité de victimes, indiquent que l’engin qui était porté a été activé prématurément. Daech a revendiqué la responsabilité des deuxième et troisième explosions (voir annexe 17). 50. L’utilisation par les ADF d’engins explosifs improvisés en milieu urbain a atteint un nouveau pic dans la ville de Beni dans la nuit du 25 décembre 2021, lorsqu’une forte explosion a fait 9 morts, dont le porteur de la bombe, et 18 blessés devant le bar Inbox, très fréquenté par l’élite de Beni et des officiers des FARDC, et particulièrement bondé à ce moment-là (voir annexe 18).
  13. La charge explosive importante et la tactique du porteur de la bombe, qui consistait à se positionner dans un endroit populaire et bondé le jour de Noël, montrent que l’attentat visait très probablement à infliger un maximum de pertes à la population civile, y compris à l’élite de Beni, à une date importante pour la communauté chrétienne.
  14. Le 10 janvier 2022, Daech a revendiqué la responsabilité de l’attaque avec un engin explosif improvisé et a présenté le porteur de la bombe comme étant Bayan alUganda, un ressortissant ougandais (voir annexe 19). Un ex-combattant des ADF a déclaré au Groupe d’experts qu’il avait vu le porteur de l’engin au camp des ADF dénommé « Machine » (voir par. 24). Trois autres ex-combattants des ADF, dont Salim Mohamed Rashid (voir par. 27 et 36), ainsi que des membres des services du renseignement, ont déclaré au Groupe d’experts que Baluku avait appelé les combattants des ADF à se porter volontaires pour commettre des attentats-suicides et qu’en mars 2021, trois combattants, dont Issa Mando, avaient répondu à cet appel. Les ADF ont également fait référence aux attentats-suicides à d’autres reprises (voir annexe 20). Évolutions techniques : engins explosifs improvisés commandés par radio et/ou déclenchés par minuterie
  15. Les éléments de preuve récupérés après deux autres détonations d’engins explosifs improvisés sur les marchés d’Oicha et de Beni, respectivement en janvier et février 2022 (voir annexes 21 et 22), ont permis de confirmer que le procédé de fabrication de ces engins était différent de ceux qui avaient été observés jusqu ’alors en République démocratique du Congo (voir annexe 23). Les preuves montrent une évolution des techniques de fabrication des bombes par les ADF qui s’orientent vers l’utilisation de téléphones portables intégrés comme déclencheur électronique à retardement ou comme déclencheur radiocommandé, similaires à ceux observés dans d’autres pays, notamment en Somalie, en Afghanistan et en Iraq .
  16. La capacité avérée des ADF à fabriquer et à utiliser des engins commandés par radio ou déclenchés par minuterie démontre que les ADF ont considérablement développé leur savoir-faire et leurs compétences techniques. La menace que représente ce type d’engin est nettement plus élevée, notamment parce que, contrairement aux systèmes traditionnels déclenchés par la victime, les dispositifs commandés par radio ou déclenchés par minuterie permettent un ciblage très précis. Tentative d’attentat à l’engin explosif improvisé au Rwanda liée aux ADF.
  17. Le 1 er octobre 2021, les autorités rwandaises ont annoncé l’arrestation de 13 personnes soupçonnées d’agir pour le compte des ADF dans le cadre d’un projet d’attentats à l’engin explosif improvisé à Kigali. Divers équipements entrant dans la composition de ces engins ont été saisis à cette occasion.
  18. Les bombes devaient exploser à la City Tower et à la station-service Nyabugogo, à Kigali, bien que le projet initial, qui a été abandonné, ait été de viser les chefs de l’armée et de la police rwandaises
    57 . Sur la base des récits des suspects et des informations fournies par les services de renseignement, le Groupe d’experts a pu confirmer l’existence de liens entre le projet d’attentats à la bombe et les ADF, notamment le rôle clé de Meddie Nkalubo (voir annexe 24). Attaques à l’engin explosif improvisé porté par une personne en Ouganda 57. Entre août et novembre 2021, six attaques à l’engin explosif improvisé ont eu lieu en Ouganda, et deux attaques du même type y ont été déjouées. Plusieurs de ces attaques ont été revendiquées par Daech (voir annexe 25). Selon les autorités ougandaises, plusieurs assaillants, y compris les auteurs des attentats suicide, et des personnes arrêtées en lien avec la planification ou le financement des attaques, étaient liés aux ADF. Le Gouvernement ougandais a notamment indiqué que Nkalubo avait envoyé des instructions pour la fabrication d’engins explosifs improvisés par le biais de l’application de médias sociaux Telegram et coordonné les transferts d’argent pour payer les agents et la logistique des attentats (voir annexe 26) 58. Bien que le Groupe d’experts n’exclue pas que les ADF aient été impliqués dans ces attaques, il n’a pas pu confirmer leur implication, ni déterminer la nature précise du soutien ou des directives qu’elles auraient fournis, les autorités ougandaises ne lui ayant pas accordé l’accès à des éléments de preuve essentiels ni aux personnes détenues en relation avec les attaques (…)